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11 février 2015 3 11 /02 /février /2015 10:41
la grande mosquée de Perpignan
la grande mosquée de Perpignan

Mosquées de Perpignan et du 66 :

(ce sont des "associations culturelles" car, pour l'Islam, le culte -la religion -est culture)


Source : Mosquées et centres islamiques dans le département 66 sur www.guidemusulman.com

* Mosquée de Saint-Jaques :

Mosquée à Perpignan

Ass Islamique Cultuelle et Apolitique

Coordonnées

Mosquée à Perpignan

8 rue du Moulin Parès.

66000 - Perpignan

Détails

Prière du vendredi :
Prêche en français :
Espace pour les femmes :

Description

Mosquée homme

Mercredi 2015

Subh

06:44

Lever du soleil

07:52

Zhur

13:08

Asr

15:49

Maghrib

18:19

Isha

19:22

Calendrier mensuel

Calendrier annuel

Figure 1. La mosquée intercommunale de lagglomération de Perpignan



Figure 2. Une mosquée inter-quartier de Perpignan



Figure 3. Une mosquée de proximité de Perpignan


L’implantation des lieux de culte musulman s’est fait au gré de l’aménagement du terri-toire urbain. Et si la politique de la ville a influé sur l’évolution et le développement des mosquées, la volonté municipale d’avoir un interlocuteur musulman à l’échelle de la ville et les compétences municipales en matière d’urbanisme, en particulier l’octroi de permis de construire et le droit de préemption, ont directement façonné le paysage cultuel musulman de Perpignan.


C’est alors que la mosquée de la Fraternité [13] se démarque clairement des autres lieux de culte musulman de la ville. Le bâtiment se situe en périphérie de la ville et est construit sur une parcelle lui permettant de disposer de sa propre aire de stationnement. À l’évidence, notamment du fait d’être excentré et situé à l’extérieur d’un quartier résidentiel, son rayonnement recouvre les communes avoisinantes. Comme pour plusieurs villes françaises et européennes, elle est « la mosquée de Perpignan » au sens à la fois politique et architectural de l’expression. Elle est donc la mosquée de type intercommunal du Roussillon.

Figure 4. Plan du rez-de-chaussée de la mosquée intercommunale.


Le tissu spatial de cette zone est très diffus et la morphologie des bâtiments manque de cohérence. Il faut dire que la quasi-totalité des opérations immobilières de ce secteur ont été produites au coup par coup sans vision urbanistique stratégique préalable.

La qualité architecturale des bâtiments s’en ressent. Aucune habitation ne se trouve donc à son immédiate proximité (voir la vue aérienne, Figure 1). Il est préférable de s’y rendre en véhicule, le trajet n’étant pas commode d’autant plus que le rite musulman de la prière se pratique à cinq moments de la journée, répartis de l’aube à la nuit tombée. Aussi la mosquée ne réunit-elle quotidiennement que quelques dizaines de fidèles pour un espace pouvant en accueillir plus d’un millier.


Quatre autres lieux de culte musulman se distinguent par des caractéristiques urbaines, architecturales et fonctionnelles singulières : les mosquées Salam [5], Er-Rahma [7], El-Fath [9] et Elhidaya [12]. Outre qu’elles accueillent toutes les fidèles pour la prière hebdomadaire, elles se démarquent des huit autres lieux de culte musulman de la ville par leur capacité d’accueil en cours de développement et/ou par leur fréquentation. Ces quatre bâtiments font en effet l’objet d’une extension ou d’une construction à la suite de l’acquisition foncière par leur association gérante. Situées au cœur de cités résidentielles, excepté la mosquée Er-Rahma derrière la gare ferroviaire, elles reçoivent des fidèles de plusieurs quartiers à la fois.

Figure 5. Plan du rez-de-chaussée de la mosquée inter-quartier Salam.


Le lieu de culte musulman géré par l’association Salam [5], dans le quartier de Saint-Martin est représentatif des mosquées inter-quartiers implantées dans ces poches urbaines de logements sociaux. Sans pour autant ressembler aux ZUP du territoire national, ces zones en tâches d’huiles dans le paysage urbain perpignanais prennent la forme d’enclaves socio-spatiales. Le bâtiment en question est situé dans l’angle formé entre deux immeubles de la Cité des Rois de Majorque. Établi sur un seul niveau en rez-de-chaussée, il est intégré à la composition paysagère du quartier. Le projet d’extension est rendu possible en surélevant le bâtiment, comblant ainsi le vide laissé dans l’angle. Le contexte urbain est celui d’une cité résidentielle qui a fait l’objet d’un plan de réhabilitation des façades et du cadre de vie extérieur, dans le cadre de l’ANRU (Agence nationale de rénovation urbaine).


Les autres lieux de culte sont ce que nous avons appelé des mosquées de proximité, accueillant la population résidente du quartier où elles se situent. Notons à ce propos qu’un projet d’agrandissement est à l’étude pour la mosquée Abou Bakr [6] qui, si la construction destinée à remplacer les préfabriqués actuels se réalise, verra le lieu de culte devenir une mosquée inter-quartier, d’autant plus que des fidèles des quartiers sud (Mas Bresson, Catalunya, Porte d’Espagne) et des villages au sud-ouest de Perpignan (Canohès, Toulouges, Thuir, Pollestres) la fréquentent déjà.


Ces huit lieux de culte de proximité sont notamment caractérisés par le fait que le bâtiment en question est antérieur à la conversion du lieu en mosquée. La mosquée des Turcs [8] (outre l’existence d’un projet de construction en cours) est une maison de ville. Celle du Champ-de-mars [4] est un local commercial tout comme l’a été la mosquée Salam [5] avant son actuelle réhabilitation. La salle de prière du Vernet Salanque [11] est un local en bas d’immeuble de la cité HLM du quartier. Le local de l’association Les sentiers [10] n’a pas subi de modification affectant le bâtit, et ne fut donc soumis qu’à une réfection de l’intérieur converti en zawiya. Enfin, les trois lieux de culte musulman du quartier Saint-Jacques [1, 2 et 3] sont à l’intérieur d’immeubles réaménagés en salles de prière.

Figure 6. Plan du rez-de-chaussée de la mosquée de proximité Malik.


Parmi eux, la mosquée Malik [1] est caractéristique des mosquées de proximité du centre ancien de Perpignan. Situé en plein cœur de Saint-Jacques (voir la vue aérienne, figure 3), l’un des quatre quartiers du centre ancien de la ville, l’immeuble de trois étages est inséré dans un ensemble de bâtiments étroits. Placé en secteur sauvegardé, le quartier est caractérisé par l’insalubrité et fait l’objet d’une OPAH (Opération programmée d’amélioration de l’habitat). Le quartier classé en zone urbaine sensible est actuellement en pleine requalification.

Le paysage cultuel musulman perpignanais, du spatial au social

Figure 7. Localisation des lieux de culte musulmans à Perpignan en 2012


Tous les vendredis, des fidèles prient à l’extérieur des locaux de certaines mosquées qui assurent cet office religieux hebdomadaire. Ce qui alimente des plaintes pour « prières de rue » de la part de certains résidents. Rien d’étonnant si l’on s’en tient au fait qu’au moins 4 300 musulmans se réunissent à l’occasion des prières annuelles. Avec une capacité maximale d’accueil des lieux de culte musulman de la ville de Perpignan de 3 830 personnes dont 750 femmes, on pourrait conclure que les 2 042 m² de surfaces consacrées sur la ville à la prière musulmane seraient relativement suffisants. Or c’est au niveau de la répartition des fidèles qu’il convient d’apprécier la réalité de la situation.
On peut d’ailleurs s’apercevoir qu’il n’existe aucune démarche holistique à l’échelle de la ville. Ce défaut d’une prise en considération globale et cohérente de la question est imputable aussi bien aux décideurs politiques en matière d’aménagement du territoire qu’aux responsables associatifs musulmans. Ainsi en va-t-il de l’octroi de permis de construire qui n’obéit pas uniquement à des considérations objectives liées aux besoins concrets en matière de fréquentation des lieux de culte musulman. Si certains projets se justifient de ce point de vue (comme la mosquée Salam [5]), d’autres ne le sont guère (comme la mosquée Alhidaya [12]). Certaines mosquées ont un besoin urgent d’accroître leur capacité d’accueil, notamment celles du quartier Saint-Jacques pour lesquels des contraintes de réglementation en matière de sécurité se posent très sérieusement (degré de réaction au feu de certains matériaux, largeur des dégagements, nombre de sorties de secours, etc.). D’autres mosquées, dans le même cas de figure, disposent d’un espace extérieur qui leur permet de compenser l’insuffisance des superficies du bâti (mosquées Abou Bakr [6] et Al-Fath [9]). C’est ainsi qu’en réalité, même si la distribution des fidèles obéit à d’autres facteurs (proximité, mobilité, transport, rythme cultuel, attractivité de l’imam, orientation idéologique de l’association, activités annexes, etc.), la capacité d’accueil des mosquées de Perpignan satisfait mal le besoin des musulmans qui les fréquentent, et leur répartition sur le territoire communal n’est pas hiérarchisée.


Plus d’une décennie auparavant, d’aucuns voyaient dans « la communauté musulmane de Perpignan, quelque 10 000 membres » (Feltin et Molénat, 11 octobre 2001). Avec aujourd’hui près d’un cinquième de ce chiffre qui assiste à la prière du vendredi – 2000 fidèles en moyenne sur l’année – il est indéniable que les difficultés dues à une prise en compte insuffisante des flux s’accentueront si aucune politique à l’échelle de la ville n’est mise en œuvre.


Le paysage cultuel musulman perpignanais met en évidence une configuration sociale et spatiale qui distingue les lieux de culte insérés dans des quartiers résidentiels à caractère social. La distinction s’avère nécessaire non seulement pour pouvoir mettre en relief les effets de lieux qui participent à la structuration du paysage religieux de la ville, mais aussi et surtout parce qu’elle souligne le rapport entre la mosquée et les caractéristiques sociodémographiques de la population musulmane. On peut également invoquer en faveur de ce choix, la capacité structurante du lieu de culte pour le quartier lui-même. ERP (établissement recevant du public), les lieux de culte animent par ailleurs la vie quotidienne du quartier et contribuent à une relative « paix sociale ».


Cette prise en considération de la réalité sociodémographique liées à l’implantation des lieux de culte musulman permet donc de s’interroger sur l’existence outre d’un effet de classe, de mobilité ou de culture, d’un effet de lieu dans l’organisation des sociétés humaines, ou, si l’on préfère, de savoir si l’espace intervient comme facteur explicatif et isolable de l’organisation sociale et de quelle manière (Frémont et alii, 1984 : 387 ). Depuis les travaux pionniers de la géographie sociale, « on ne tente plus de détacher, d’isoler l’espace de l’organisation sociale, au contraire, on postule la consubstantialité du social et du spatial. On affirme d’emblée que la géographie étudie la dimension spatiale des phénomènes de société et qu’elle s’intéresse à l’organisation de l’espace et aux pratiques de l’espace des acteurs de la société ainsi qu’à leurs représentations ; ceci à différents niveaux de l’étendue, du local au mondial » (Sélimanovski, 2009/1 : 119).


Or si le lieu peut avoir un effet sur l’organisation sociale, il n’en demeure pas moins non plus qu’il est construit par les événements qui s’y déroulent. Dès lors, il nous appartient de rendre compte, au moment même où le lieu est présenté, des principaux événements qui participent de sa construction par les acteurs qui s’y trouvent. C’est à l’aide de l’imbrication de ces trois éléments, lieu, événement et acteur(s), que nous restituerons ici les modalités d’émergence de nouvelles spatialités qui concèdent à la religion une visibilité et un rôle fonctionnel réaffirmés dans la vie urbaine des sociétés européennes.

Centre et marge, une question de perspective

La marginalité du centre...
Le paysage cultuel musulman de Perpignan est construit à partir de l’imbrication de facteurs sociaux et spatiaux. On peut déjà faire remarquer que les lieux de culte musulman de la ville sont tous situés dans des zones où la population immigrée est significativement présente (voir figure 7). Aucune des trois zones de la ville où celle-ci est inférieure à 10 % de la population locale n’a de lieu de culte musulman.
Signalons également que trois lieux de culte se trouvent à l’extérieur de quartiers populaires de la ville : la Grande Mosquée de la Fraternité [13] dans le sillage de la Fédération nationale de la Grande Mosquée de Paris (proche de l’Algérie), la Mosquée Er-Rahma [7] de la jama‘at at-tabligh et la zawiya [10] de la tariqa naqshabandiyya. Avec le local de l’association El Houda [3], ce sont les lieux de culte les plus récents. Les dix autres mosquées de la ville se situent donc toutes à l’intérieur de quartiers populaires dont sept au sein de cités à logements sociaux. Aussi faut-il faire remarquer que :


« […] paradoxe social plus que géographique, la marge à Perpignan, ne se manifeste non pas en périphérie mais en centre-ville, dans des quartiers diffamés et stigmatisés, tels Saint-Jacques et Saint-Mathieu, où la misère sanitaire (logements insalubres) côtoie la misère sociale (23,3 % de Perpignanais bénéficiant d’allocation (RMI, API, AAH) contre 16 % pour Nîmes et 15 % à Montpellier) » (Got, 2010 : 198).
Dans l’espace public de la société nord-catalane, la mosquée de la Fraternité [13] fait figure de centre « officiel » de la vie religieuse musulmane. Il s’agit de la mosquée intercom-munale de notre typologie. En marge de la zone urbaine, elle a été construite dans la zone de Torremilla au Haut-Vernet, sur un terrain vague au milieu des vignes, en bordure de la voie rapide pénétrante à l’extrême nord de la ville, sur le bas-côté en face des hangars aéroportuaires, à proximité d’une zone commerciale et artisanale. Comme dans le cas de celui de « la mosquée à Mantes-la-Jolie », on retrouve à travers « la grande mosquée de Perpignan », « les conditions imposées de l’hospitalité religieuse [à] un espace de relégation urbain et social […] à une relative invisibilité sociale » (De Galembert, 2004 : 383-407). Le choix de cet emplacement avait fait l’objet de vives critiques de la part des fidèles peu motivés à participer à son financement initialement estimé à 610 000 euros. Un financement bancaire, malgré l’interdiction religieuse du prêt à intérêts (ar-riba), aurait même été contracté pour faire aboutir le projet à son terme. « Il a [donc] fallu plus de 4 ans aux fidèles, qui ont versé pour cela quelque 900 000 euros, pour réussir à construire ce qui constitue [en 2006] la troisième mosquée de France en termes de capacité cultuelle, derrière les mosquées de Paris et de Lyon » (La Gazette, 8 décembre 2006). Construit sur un terrain viticole en bordure de la voie rapide nord, principale axe routier qui longe lui-même l’autoroute, le bâtiment est donc un projet initial. Il est au centre du terrain sur lequel une aire de stationnement a été aménagée. S’étendant sur un terrain de 17 500 m², l’édifice dont ce fut « un architecte juif, Gérard Lascar, aujourd’hui disparu, qui a dressé gratuitement les plans » (Molénat, 2004) peut en effet se prévaloir d’être « la plus grande de France en terme de superficie » (L’Indépendant, 11 septembre 2010).


Le projet fut porté par feu A. Akkari. D’origine libanaise, ce chef du service orthopédie de l’hôpital Saint-Jean de Perpignan devint adjoint au maire délégué à la santé. En 2002, il fonda avec M. Iaouadan, avocat au barreau de la ville et également élu de la majorité municipale, le Collectif Fraternité Perpignan. Mais l’organisation est confondue avec le Collectif culturel et cultuel des musulmans des Pyrénées-Orientales qu’ils créèrent quatre ans plus tôt. Plus souvent appelé le Collectif des musulmans des Pyrénées-Orientales, il est aujourd’hui administré par trois médecins d’origine algérienne animant une troisième association fondée début 2006 et baptisée Centre Averroès Perpignan. Celle-ci est à vocation culturelle et permet ainsi d’obtenir des subventions publiques. Elle siège à l’angle sud-est du mas de la Gibelière, dans un ensemble de bâtis antérieurs à la construction de la mosquée servant aussi de résidence à l’imam. Ces trois associations de droit ne forment en réalité qu’une seule association de fait. On peut ainsi faire remarquer que médecins, avocats et élus locaux, ces responsables communautaires disposent des ressources sociales offrant une notoriété publique à la mosquée qui répondait d’ailleurs à un besoin plus politique que religieux.

En effet, maire de la ville de 1993 à 2009, J.-P. Alduy hérita de ce que le géographe Giband appelle : « un système géopolitique spécifique : celui du clientélisme municipal, fondé sur le contrôle des positions de pouvoir local et un encadrement fort de la population selon un registre "ethnique" en faveur de deux groupes clairement identifiés à des territoires urbains [mais la différence du fils par rapport au père est qu’] à l’approche clientéliste, il substitue une dimension communautariste fondée sur l’appartenance religieuse » (2006/1 : 178).

Ce contexte et ces pratiques politiques locales ont largement participé à la configuration d’une représentation politique de la communauté musulmane qui plaça la « mosquée de la ville » au centre de l’espace public mais en marge de la vie communautaire. On retrouve ainsi à Perpignan les caractéristiques mises en évidence par Duthu (2008 : 108) pour d’autres villes françaises : ancienneté du maire ; une « laïcité ouverte » associée à une forte personnalité du maire qui atténue les postures identitaires et sécuritaires du parti politique d’affiliation (UMP) ; absence d’une coordination autonome des associations musulmanes à vocation cultuelle associée à l’absence paradoxale de relation avec le CRCM sensé assuré cette coordination ; clivage générationnel avec une jeunesse musulmane coupée des responsables communautaires engagés dans un processus de notabilisation.

… La centralité de la marge ...


Dans le centre historique de la ville, Saint-Jacques porte les caractéristiques de ces « quartiers d’exil » dont parlent Dubet et Lapeyronnie (1999), avec 83 % des habitants vivant sous le seuil de pauvreté.


« Le quartier Saint-Jacques est central au double titre de sa situation géographique et de son histoire. Il se présente comme un village de 800 immeubles étroits construits sur un site collinaire de 8 hectares, parcouru de ruelles de 3 à 4 mètres de large de structure labyrinthique, qui ne facilitent pas le passage des non-résidents. Soixante-dix pour cent des logements sont insalubres […] Á l’hectare, la densité du bâti est de deux cents logements, et celle de la population est de cinq cent s habitants » (Tarrius, 1999 : 57).

Parmi eux les musulmans du quartier sont essentiellement des personnes seules contraintes de rester sur le territoire national pour notamment continuer à percevoir leur re-traite et autres droits sociaux. Les commerçants et les non-résidents forment l’autre composante des musulmans fréquentant l’un des trois lieux de culte de Saint-Jacques. Si deux d’entre eux [1 et 2] bénéficient d’une antériorité historique, ces mosquées au centre de la ville sont en marge de la vie publique. Leurs responsables n’apparaissent aucunement dans l’espace public local.


Ces lieux de culte musulman ont été aménagés à l’intérieur d’anciens immeubles étroits, ils peuvent chacun accueillir près d’une centaine de fidèles sur plusieurs étages. Seuls des hommes les fréquentent, avec principalement des retraités marocains pour la mosquée En-Nour [1] et algériens pour la mosquée Malik [2]. Comme le laisse entendre la dénomination associative et comme le confirme l’enquête de terrain, l’association islamique cultuelle et apolitique prêche un islam traditionnel ne s’intéressant strictement qu’à la pratique des rituels religieux, ne dispensant aucune autre activité (éducative, sociale, culturelle…).


La troisième mosquée de Saint-Jacques est plus récente. Créée en 2007 par de jeunes trentenaires d’inspirations salafistes, l’association El Houda (3) gère ce petit local situé derrière la rue Llucia, à deux pas du commissariat (de la Police nationale) du quartier. Commerçants de nationalité française, les responsables assurent un prêche du vendredi dans les deux langues (arabe et français), à près de 150 personnes qui remplissent la salle de prière. Ce chiffre tient compte du fait qu’en 2011 la salle a doublée sa capacité d’accueil avec une extension horizontale, en joignant deux locaux au rez-de-chaussée.


La distinction entre « espace matière » et « espace abstraction » permettant au sociologue Maurice Halbwachs d’empiler la réalité sociale (construite) sur des réalités matériels (physiques) nous offre dans le cas des mosquées de Saint-Jacques la possibilité d’examiner les « structures ou formes de la société [comme étant] par exemple, la façon dont se distribuent la population à la surface du sol » (Halbwachs, 1970 : 7). Cette distribution rend compte de la morphologie sociale d’un groupe à l’instar de la stratigraphie dans les sciences naturelles. «Le principe est que les structures sociales se matérialisent dans l’espace physique et inversement » (Beaubreuil, 2011 : 160) à telle enseigne que pour Halbwachs, si les groupes religieux se rattachent toujours à un « lieu central » physique et/ou symbolique, ils s’en détachent éventuellement.


Parlant de « géographie ou de topographie religieuse » (Halbwachs, 1997 : 231), il suggère ainsi que l’étude de la dimension spatiale des faits religieux porte notamment sur les représentations spatiales comme éléments de construction de l’espace social, et à terme de la vie sociale entière. Ainsi les communautés d’immigrés marocains et algériens ont édifié leurs lieux de culte comme espaces de socialisation matérialisant leurs conditions de migrants en marge de la scène publique locale. Cherchant aussi à se mettre à l’écart de la vie urbaine, les français salafistes de Perpignan se retrouvent, non plus par hasard, dans le même quartier à reproduire les conditions d’un imaginaire symbolique religieux en rupture avec la société immédiate, connecté à un univers sociopolitique hétérotope (Foucault, 1994 : 752).

… Et l'entre-deux
Sept lieux de culte de Perpignan se situent donc à l’intérieur de quartiers HLM. Ils char-rient une population dont les religiosités sont diverses, neutralisant ainsi un contrôle, voire même un monopole idéologique sur les activités qui s’y déroulent. Toutefois, cette diversité des affinités religieuses s’exprime au sein du sunnisme et illustre ainsi l’étonnante vitalité de ce que de nombreux sociologues appellent le « mouvement islamique » contemporain. Elle participe, plus microsociologiquement, aux altercations régulières qui animent la vie des mosquées de Perpignan se situant à la frontière entre les espaces de la communauté et de la société.
Les mosquées insérées dans les cités où la population répond à des caractéristiques so-ciodémographiques diversifiées, sont le théâtre de vives interactions entre les fidèles. Ici les convertis s’opposent au « tribalisme berbère » ou au « nationalisme turc » ou les jeunes affrontent les plus âgés, tandis que là les femmes dénoncent « le machisme des responsables » ou les malékites font face aux wahhabites. Ces anicroches prennent rarement une tournure plus grave même si de violentes disputes apparaissent périodiquement. En tout état de cause, elles peuvent se ramener à une variété de conflits entre velléités progressistes des uns et aspirations conservatrices des autres. Dans tous les cas, la vie de ces mosquées est tributaire de l’espace dans lequel elles se trouvent à travers la variété des profils socioculturels des musulmans résidant dans ces quartiers populaires.
Autre caractéristique de ces lieux de culte, des activités éducatives extrascolaires s’y déroulent. En effet, les familles musulmanes de ces cités HLM délèguent à la mosquée du quartier l’instruction religieuse de leurs enfants et/ou l’accompagnement scolaire. Les responsables associatifs aménagent ainsi le lieu de culte de façon à assurer principalement des cours d’apprentissage de l’arabe et du Coran et de l’aide aux devoirs à plusieurs dizaines d’enfants qui se rendent au lieu de culte en soirée ou les matins de fin de semaine. En fait, seules les mosquées du quartier Saint-Jacques ne proposent pas d’activités pédagogiques, ce que l’exiguïté de l’immeuble et l’étroitesse des ruelles du quartier (l’insécurité nocturne) ne faciliteraient guère.


Autres activités qui s’y déroulent, les célébrations de mariage, baptême, décès et autres événements marquant de la vie familiale font l’objet de repas à l’intérieur de l’enceinte religieuse. À ces occasions, l’imam dispense quelques exhortations et des fidèles animent les soirées par des chants pieux. Les lieux sont dès lors équipés de cuisine improvisée permettant de préparer les dizaines de plats distribués à des fidèles présents sans nécessairement avoir été invités. Ces festivités entraînent parfois des nuisances nocturnes pour un voisinage qui très souvent s’en accommode.


Toutes ces activités et le nombre important de personnes qu’elles charrient, ont conduit à plusieurs projets de construction dans ces quartiers. La configuration des bâtiments et des alentours permet en effet des extensions nécessitant l’acquisition préalable de parcelles ou locaux. Tandis qu’une des mosquées du Bas-Vernet [8] et du Vernet-Salanque [11] et celle du Champs-de-Mars [4] envisagent d’agrandir leur lieu de culte, les cinq dernières années, les quartiers Saint-Martin [5], Bas-Vernet [9] et Vernet-Salanque [12] ont vu leur salle de prière se transformer en une mosquée pouvant accueillir plusieurs centaines de fidèles. Avec la rénovation de la mosquée Er-Rahma [7], c’est une croissance de plus de 21 % de la capacité d’accueil de l’ensemble des lieux de culte de la ville que permettra l’ensemble des projets en cours de réalisation.
Rien d’étonnant donc à ce que ces quatre mosquées drainent une population bien au-delà de leur quartier d’implantation, entrainant des difficultés de circulation et de stationnement trop souvent négligées et sous-estimées. Les représentations et les modes d’identification territoriale se trouvent affectés et se traduisent notamment dans les appellations vernaculaires des lieux de culte musulman identifiées au quartier ou à la cité. Ces lieux de culte vont jusqu’à participer à la structuration du quartier sans que cela ne soit pris en considération dans l’aménagement du territoire urbain. De véritables spatialités nouvelles apparaissent, faisant de certaines mosquées des lieux publics au sens technique du terme. Ces lieux doivent donc être pensés comme tels depuis leur aménagement jusqu’à leur usage ordinaire, car les incidences relatives à leur implantation dépassent leurs usagers pour concerner l’ensemble de l’espace urbain de manière aussi bien concrète (flux de véhicules, bruit, paysage urbain…) qu’abstraite (image de la ville, réputation du quartier…).

Conclusion

L’étude des relations entre les lieux de culte musulman de Perpignan et l’espace urbain de cette ville, nous a permis de mettre en évidence une interpénétration du spatial et du social. Celle-ci est d’autant plus probante que la verticalité de notre hiérarchisation spatio-fonctionnelle à travers la typologie des mosquées de Perpignan recoupe en partie l’horizontalité de notre descriptif socio-urbain. La configuration des dynamiques spatiales et sociales donne à voir leur articulation selon des modalités complexes dans la mesure où les facteurs sont hétérogènes. D’un côté l’analyse spatiale rend compte de trois types de mosquée qui reflètent autant les représentations que les pratiques de l’espace, de l’autre, l’analyse sociologique révèle trois situations différenciées en matière d’interactions entre communauté (religieuse) et société (civile). La mosquée intercommunale, les quatre mosquées inter-quartiers et les huit mosquées de proximité construisent ainsi un paysage du culte musulman qui s’insère activement dans l’environnement urbain. Les acteurs et les événements, religieux et politiques, qui fondent ces lieux de vie sociale produisent des rapports à l’espace ambivalents.

Ces derniers mettent en évidence une première centralité en marge de l’espace urbain et une seconde en marge de l’espace public local. La mosquée intercommunale représente le centre politico-religieux de l’islam local. À travers un lieu architecturalement marqué, des évènements politiquement marquants comme la visite annuelle du maire de la ville à l’occasion de l’aïd, et des acteurs religieux engagés comme médiateur public entre la communauté musulmane et la société civile locales, la mosquée de la Fraternité s’impose comme la mosquée de la ville, celle qui occupe le centre de l’espace symbolique mais se situe à la périphérie de l’espace physique. Les mosquées de proximité, quant à elles, elles se situent au cœur de la ville, et même pour certaines d’entre elles, dans le centre ancien. Elles témoignent également d’une certaine communautarisation des populations qui les fréquentent. Que l’on pense aux dyna-miques ethno-nationales qui animent les mosquées des Turcs, des retraités marocains et algériens ou encore aux logiques de rupture avec la vie de la cité qui sous-tendent les mosquées salafi et soufi, ces mosquées de proximité offrent un portrait protéiforme du fait islamique à l’échelle locale, loin de cet essentialisme réifiant qui domine les représentations des communautés musulmanes. Cette diversité s’illustre également à travers les mosquées inter-quartiers. On ne peut identifier ces lieux de culte musulman à une communauté ethnique, nationale ou idéolo-gique particulière. Ils sont au contraire fréquentés par une population fortement hétérogène qui apprend à partager un même lieu où se vivent des religiosités différentes. Cette expérience du pluralisme religieux à l’intérieur d’une même famille spirituelle est en partie induite par des effets de lieux qui placent ces populations au cœur de la vie urbaine, dans les cités de la Cité. Ce pluralisme vécu font de ces mosquées des entre-deux, pas tout au fait au centre (ni spatial, ni social), les quartiers où elles se trouvent sont assimilés à la banlieue perpignanaise, mais pas non plus à la marge (ni spatiale, ni sociale), entre une communauté religieuse plurielle et une société locale dont elles participent au « vivre-ensemble ». On le voit, la hiérarchisation des lieux de culte musulman sur un territoire est un élé-ment majeur de la participation d’une population immergée de la ville, comme une compo-sante à part entière de la vie urbaine. La réussite d’un projet de lieu de culte (financement, construction, gestion associative) passe également par l’implication des futurs usagers et dépend donc du degré d’adhésion des fidèles eux-mêmes, mais aussi de celui de la population de la ville en général (opposition d’une partie de l’opinion publique locale à la grande mosquée de Perpignan) et du quartier en particulier (rejet du projet de construction dans le quartier de Taialà à Gérone, commune voisine de Perpignan). D’un point de vue opérationnel, il s’agit de développer de nouvelles méthodes de travail, de concertation et de coopération entre professionnels, responsables associatifs et ins-titutionnels qui puissent tenir compte d’un processus de production participatif qui reformule les conditions d’un partenariat nécessaire qui passe notamment par de nouvelles formes de gouvernance des « projets collectifs ». Les responsables associatifs gérant les lieux de culte musulman ne peuvent faire fi des incidences de diverses natures que produit la mosquée sur son environnement. Il convient notamment que les professionnels veillent à traduire les volontés des responsables associatifs dans une écriture architecturale cohérente, en harmonie avec les lieux avoisinants. Les décideurs politiques devraient mieux anticiper les conséquences de leurs décisions en matière d’urbanisme et de vie quotidienne de leurs administrés, musulmans ou non, électeurs ou non. L’ensemble des acteurs engagés sont animés d’intérêts, de logiques et de visions loin de converger vers une stratégie partagée de l’occupation de l’espace urbain. Leurs interven-tions se répercutent aussi bien dans les pratiques que dans les représentations de l’espace de la ville. Comme sur d’autres projets, il serait bienvenu de systématiser des études d’impact, examinant la zone géographique d’influence du futur équipement religieux, élaborant la faisabilité technique du projet avant l’acquisition foncière (et préempter en connais-sance de cause), articulant les bâtiments dans le tissu spatial : voies de communication, places de stationnement nécessaires au fonctionnement, espaces verts, etc. La ville est généralement structurée en quartiers fonctionnant entre eux. Ces derniers sont à leur tour structurés par les bâtiments et les infrastructures publics. Or sans être pour autant reconnu par les institutions nationales comme équipement public, nous avons vu à travers le cas de Perpignan que le lieu de culte musulman contribue, à sa hauteur, à la structuration du terri-toire des villes européennes d’aujourd’hui.

Bibliographie

ALDUY J.-P. et OTAOLA J. (2004) Laïcité, spiritualités dans la cité, Perpignan : Ville de Perpignan.
AMGHAR S. (2011) Le salafisme aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident, Paris : Michalon.
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  • professeur de lettres, écrivain, j'ai publié plusieurs livres dans la région Languedoc-Roussillon, sur la Catalogne, Matisse, Machado, Walter Benjamin (éditions Balzac, Cap Béar, Presses littéraires, Presses du Languedoc...
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