Depuis mardi 7 mars, une exposition de l’artiste suisse Miriam Cahn, « Ma pensée sérielle », présentée au Palais de Tokyo à Paris, fait l’objet d’une polémique. Celle-ci a été lancée sur Twitter par l’ancien animateur de télévision Karl Zéro et par la députée Rassemblement national (RN) du Pas-de-Calais Caroline Parmentier, qui l’a relayée à l’Assemblée nationale. Ils accusent la peintre de faire l’apologie de la pédocriminalité à travers son tableau intitulé Fuck abstraction !, dans lequel elle représente une scène de fellation forcée entre un homme et un personnage fluet, à genoux. Une pétition demandant son décrochage a réuni plusieurs milliers de signatures.
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Dans un communiqué de presse du Palais de Tokyo, Miriam Cahn affirme que son œuvre ne met en scène aucun enfant : « Ce tableau traite de la façon dont la sexualité est utilisée comme arme de guerre, comme crime contre l’humanité. Le contraste entre les deux corps figure la puissance corporelle de l’oppresseur et la fragilité de l’opprimé agenouillé et amaigri par la guerre. »
La ministre de la culture, Rima Abdul Malak, a réagi à la polémique, en s’adressant directement à la députée du RN : « Vous êtes allée faire votre coup de com’ et filmer ce tableau, mais avez-vous vu l’ensemble de l’exposition ? Avez-vous échangé avec les médiateurs ? Avez-vous lu les explications ? Parce qu’on ne peut pas sortir une œuvre de son contexte. »
L’Observatoire de la liberté de création a, dans un communiqué du mardi 21 mars, soutenu la démarche de l’artiste, rappelant que l’essence même de l’art est de déranger. Et invite les contestataires à « aller voir l’exposition au lieu d’en dire n’importe quoi. Et s’ils en sortent choqués, qu’ils se rappellent que la Cour européenne des droits de l’homme ne cesse de rappeler que les libertés d’expression et de création sont là pour protéger ce qui choque et dérange, et non ce qui est consensuel. »
Panneaux d’avertissement
Le Palais de Tokyo a cependant décidé de renforcer son dispositif de médiation culturelle. Dans la salle, appelée par l’artiste « espace de guerre », où des images pouvant heurter le public sont exposées, une équipe siège à proximité de Fuck abstraction ! Les médiateurs se relaient pour répondre aux éventuelles interrogations des visiteurs, contextualiser les travaux de l’artiste et les accompagner dans leur compréhension de l’œuvre. Certains viennent uniquement pour voir le dessin incriminé, et le photographier. « On les repère facilement, ils foncent sur l’œuvre et repartent dès qu’ils l’ont vue », remarque une médiatrice. « On veille à ce qu’il n’y ait aucun débordement », ajoute-t-elle.
A la demande de l’artiste, un texte explicatif a été apposé à côté de l’œuvre. Un communiqué de presse du centre d’art est disponible sur une table, avant l’entrée. On peut y lire en gras : « Le tableau Fuck abstraction ! qui représente des adultes est une dénonciation des crimes de guerre. »
Avant que la polémique survienne, le Palais de Tokyo avait déjà pris des dispositions pour accompagner le spectateur dans l’exposition. Des panneaux d’avertissement sont égrenés tout le long du parcours : « Certaines œuvres de cette salle sont susceptibles de heurter la sensibilité des publics. Son accès est déconseillé aux mineurs. » Le directeur des publics et de la programmation culturelle, Yoann Gourmel, rappelle que le renfort humain de la médiation culturelle n’a pas modifié le discours de l’institution. « La médiation est dans l’ADN du Palais de Tokyo. C’est un outil d’accompagnement qui invite au dialogue et à la compréhension des œuvres. » La médiation fait d’ailleurs partie intégrante de la démarche artistique de Miriam Cahn. L’artiste suisse avait elle-même pris soin, dès l’accrochage de l’exposition, de rassembler les œuvres sensibles dans une même salle.