A Perpignan, l'année finit en peinture ! Jean CAPDEVILLE, Martine SANAC
La tragédie de Millas a mis de côté l'actualité politique (les élections en Catalogne) et festive (les rifles, musiques religieuses et autres crèches touristiques).
Le temps va estomper le deuil et, déjà, peu à peu, la vie reprend, comme on dit, sans réfléchir, ses droits.
Ainsi, en cette fin d'année 2017, l'année se clôt de façon picturale à Perpignan : il faut rendre ici hommage * à Michel Pinell, en charge de la culture et de la médiation, d'avoir programmé deux expositions (Martine Sanac à l'hôtel Pams, lieu magique enfin ouvert à tous les publics) et aux Capdeville (au musée Rigaud agrandi), après le succès de l'expo de l'été sur Picasso à Perpignan.
M. Pinell nous fait plaisir, et s'est fait plaisir lui-même; en effet, grand admirateur de Jean C., il lui rend hommage chaque année en se rendant sur sa tombe, à Céret. **
En parallèle, une expo bienvenue sur "Capdeville et le livre" à la médiathèque. ***
Ajoutons l'excellente initiative de créer un prix en direction des jeunes, destiné à encourager la création contemporaine dans le département. 2018 annonce Dufy chez Rigaud et d'autres surprises, on espère...
* et critiquer quand il le faut ! Comme dans l'affaire du théâtre municipal livré aux hordes des juristes en herbe ! L'adjoint à la culture ne semble pas du tout "chaud" si on ne préserve pas le lieu et l'affaire devrait être vite classée...
** Il faut ici ne pas écouter les langues de vipères qui prétendent que M.Pinell a programmé Jean C. pour faire remonter sa cotte et ainsi réaliser une belle plus-value en vendant les 2 ou 3 tableaux qu'il possède de cet artiste qui a travaillé avec les plus grands poètes, Jacques Dupin, Michel Butor...
JPB
*** Du 16 Décembre 2017 au 6 Janvier 2018, de 10:00 à 18:00
La médiathèque de Perpignan s’associe à l’exposition présentée au Musée Rigaud Jean et Jacques Capdeville et propose une présentation des livres de Jean Capdeville conservés dans les collections patrimoniales. Cette exposition est l’occasion de montrer un aspect méconnu des acquisitions patrimoniales dans les bibliothèques : les livres d’artiste.
Ces ouvrages particuliers et conservés à la réserve des livres rares et précieux sont un témoignage de la création contemporaine dans le livre. La politique d’acquisitions mise en oeuvre depuis de nombreuses années a permis de constituer une collection de livres d’artiste, consultable sur place et montrée régulièrement à l’occasion d’expositions ou de rencontres-découvertes des collections patrimoniales.
Les critères pour l’acquisition de ces ouvrages particuliers sont ceux des collections locales. Ces collections sont complétées et enrichies par une veille régulière et qui se veut exhaustive de tous les documents imprimés qui constituent le patrimoine local.
Le livre d’artiste se caractérise par des matériaux choisis, des illustrations originales ou des techniques de fabrication artisanales. Les exemplaires sont numérotés et signés de l’auteur et de l’artiste et réalisés en tirages limités. Ce sont parfois des livres insolites qui utilisent d’autres supports que le papier ou qui re-construisent la forme traditionnelle du livre. Livres illustrés ou livres-objets, ils sont toujours lieu de dialogue entre les artistes qui créent ensemble une oeuvre
originale où texte et image s’associent et se répondent.
Le livre d’artiste est un lieu de création où cohabitent de nombreuses formes d’expression artistique aussi bien dans l’écriture où plusieurs genres peuvent s’exprimer que dans les
techniques plastiques : gravure, peinture, photographie, collage….
Le lien de Capdeville avec le texte est constant. Le peintre introduit régulièrement des mots dans ses peintures. Il participe à une quarantaine d’ouvrages où il partage avec les artistes qu’il a choisis, la texture du papier, le format de la feuille, la mise en page des traits et des couleurs. Le peintre intervient sur la feuille typographiée ou manuscrite.
Les livres présentés montrent l’interaction entre texte et peinture. Ils sont les témoignages d’un véritable travail d’artisans et conservent au long des pages le dialogue de l’auteur et du peintre. La collection montre une belle palette d’artistes, auteurs, plasticiens, poètes et romanciers : Georges Badin, Jean-Louis Bolte, Paul Celan, André Du Bouchet, Jacques Dupin, Patrick Gifreu, Pere Gimferrer, Edmond Jabès, Ludovic Massé, Yves Peyré, Gaston Puel, Jean-Michel.
(GRATUIT)
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Martine Sanac
Elle est habitée par le théâtre de la peinture, où des personnages féminins, quasi immobiles, contemplent l'éternité de l'eau, du lac de la Raho à la mer de Canet en Roussillon.
D'une blancheur de soleil d'été, ces filles candides, par deux le plus souvent, parlent de plage, de beau temps, d'éternel été dans une sorte de temps arrêté, pour mieux profiter de l'instant présent.
Ce temps humain, quasi féminin, ici, ne paraît pas passer, avec Martine Sanac, et l'instant se vitrifie, avec ces jeunesses d'étoffe virginale, et, parfois, avec cette femme de dos, noire telle une mélancolie, qui, sans se lasser, regarde l'horizon, disant une noirceur d'impossible paradis...
Ce bonheur que l'on croit inaccessible et lointain, est ici, dans ces solitudes de l'artiste qui arpente le sable, marquant le territoire de l'enfance, des souvenirs de jeux et de plaisirs simples…
Quand la focale du pinceau s'élargit, ce sont des groupes colorés qui explosent de bonheur, dans le temps estival et vacancier. Le je, le double, la complice ou soeur jumelle, alors, disparaissent de la toile envahie par le mouvement des parasols et l'oisiveté des corps solaires…
Cependant, derrière ce décor touristique, persiste les filles tranquilles et sans visage, croquées dans le flou de la gouache, comme on croque une pomme, pour ressentir une égotiste et infinie jouissance, teintée d'une discrète mélancolie…
J.Pierre Bonnel
* Exposition samedi 23 décembre 2017 à l'Hôtel Pams, de Perpignan. 11h.
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Jean Capdeville - exposition au musée H. Rigaud de Perpignan - 22 décembre 2017
L'artiste est né le 13 septembre 1917 au mas de Saint Jean de L'Albère.
Après une période pendant laquelle, il commet quelques frasques de jeunesse qui plus tard lui inspireront la série des "Burlesques", en 1937, à l’âge de 20 ans, il est appelé au service militaire avant de s’engager, selon ses propres termes, "pour tuer le temps".
Après quatre années de captivité en Allemagne, il revient à Céret en 1945. Très abattu, sans projet ni énergie, il s’inscrit à un cours de dessin par correspondance. Ce sera son seul apprentissage artistique.
Il commence à peindre en 1947.
« je me sentais vulnérable et sans défense, et la peinture était pour moi comme un bâton d’aveugle. Une façon de rester debout ».
Aux paysages figuratifs de ses débuts, toujours déserts de personnages, et à la série des "Burlesques" ont succédé des micro paysages presque abstraits.
Deux événements sont à l'origine de cette orientation : la découverte de la peinture romane et celle des écrits de la philosophe Simone Weil...
«... Les notes de Simone Weil me fichaient alors une secousse, des couleurs donc, des traits, des moyens très simples, minces même, des à plats cernés. La richesse, la vraie, intense dedans...»
Sa peinture d'apparence abstraite est toujours ancrée dans le réel, la trace... D'ailleurs, Capdeville refusa d’appartenir à tel ou tel mouvement abstrait.
Initialement ses paysages sont peints à la manière de Céret, mais il développe rapidement un style beaucoup plus personnel avec sa série de graffitis Grotesques. Sa peinture est essentiellement abstraite, mais elle reste en lien avec la vie quotidienne et ses propres expériences personnelles.
Il est mort le 30 juillet 2011 à Céret.
Les obsèques religieuses ont eu lieu le 2 août 2011 en l'église Saint-Pierre à Céret5.
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*Lire l'article de Serge Bonnery du 2/8/2012, dans L'Indépendant " : J.Capdeville est passé en silence.", et celui de C.Bacheier, dans Terres catalanes de déc. 2017.
Hommage à Jean Capdeville
L’œuvre au noir
Par Marie-Laure Desjardins
Mercredi 05/10/2011
Le peintre Catalan s’est éteint cet été à l'âge de 93 ans. Discrètement, comme il avait choisi de vivre. Durant plus de 60 ans, il a déroulé « son affaire » comme il aimait à le dire. Sans que rien ne vienne le dévier de sa route : ni les feux de Paris ni les ors des galeries. Parmi les rencontres d’artiste qu’il est donné de faire, celle de Jean Capdeville fut essentielle. Il y a trois ans, il recevait encore. Impossible d’oublier cet intérieur impeccablement simple et austère. Il n’y avait rien de trop chez lui, sauf peut-être des dizaines de pots de peinture noire. Sa favorite, dont il s’inquiétait sans cesse de manquer. Pour se rendre à l’atelier, il lui fallait grimper plusieurs étages, qu’il gravissait lentement mais fermement, une main posée sur la rampe d’escalier. Là-haut, la même sobriété attendait le visiteur. Arrivé dans l’espace dévolu à la peinture, il observait sans rien dire. Lui, l’artiste au dos vouté de s’être inlassablement courbé sur la toile travaillée au sol, nous laissait en paix effleurer ses secrets. Avait-il peint depuis longtemps ? « Oh ! Oui ! Depuis au moins deux ou trois jours ! » Il aimait plaisanter. Quand au bout du chemin, le corps peu à peu s’efface, l’âme légère et souriante investit la place. Une dernière question avant de s’éclipser : « Pourquoi ? » « Parce que la dernière pourrait être la meilleure », avait-il répondu. En souvenir de ce bel après-midi d’été et pour que résonnent encore la parole du peintre,ArtsHebdo médias met en ligne le portrait de Jean Capdeville écrit pour Cimaise en 2008.
L’heure de la sieste a sonné. Les venelles de Céret se sont vidées, les échoppes aussi. Dans la rue principale, une grande bâtisse blanche aux volets clos semble sommeiller elle aussi. La porte poussée, un long couloir mène au jardin, et de l’ombre à la lumière. Assis dans un fauteuil en osier, sous les arbres, sa canne posée sur la table devant lui, il observe, immobile. L’homme, la peau tannée par le soleil, surveille un jeune chat à l’affût du premier oisillon qui s’aventurerait à portée de griffes. Son profil est d’aigle comme son regard. L’espace d’un instant le tableau se fige, l’œil fixe à jamais cette image dans la mémoire aux confins du cœur. Jean Capdeville, 91 ans, continue de peindre. « Je vais essayer de mettre un dernier coup de collier, confie-t-il d’emblée,pour rejoindre les balbutiements de la fin. Je ne sais pas comment ils seront, mais la plupart du temps, c’est à ce moment-là que les peintres atteignent le meilleur. Ils touchent cette chose impalpable, eux-mêmes. »
Jean Capdeville est né le 13 septembre 1917 à Saint-Jean-de-l’Albère. Son père meurt l’année suivante au front. A partir de ce jour, l’enfant ne verra plus jamais sa mère habillée autrement qu’en noir. Un noir mat qui envahira ses toiles des années plus tard. De son enfance, il ne dit rien. De sa vie d’adulte non plus. Il balaie d’une phrase les trente premières années de son existence. « Je n’ai rien fait jusqu’à 30 ans. Je ne savais pas quoi foutre, je m’ennuyais et j’ennuyais les gens qui étaient autour de moi. » En réalité, à 18 ans, Jean Capdeville fait son service militaire, puis s’engage en 1937. Prisonnier de guerre de 1940 à 1945, en Allemagne, le jeune homme, qui revient à Céret, traîne sa vacuité, son mal-être, se sent inutile. Ses pas le ramènent régulièrement vers l’atelier d’un peintre, père de l’un de ses amis. « Je passais souvent chez Brune. Il avait l’air content de son affaire. On parlait, mais sa peinture ne m’intéressait pas. »
Pourtant, Capdeville se convainc peu à peu que cette « affaire » pourrait devenir la sienne. Il s’inscrit à un cours de dessin par correspondance, mais Brune lui conseille d’oublier les conventions. « J’étais heureux de faire enfin quelque chose, mais je n’imaginais pas que cela allait durer le reste de ma vie. La catastrophe aurait été que je subisse un échec ou que je me tourne vers autre chose. Mon frère, lui travaillait normalement, selon les règles établies, il était médecin. » Le jeune peintre souffre de la comparaison. Son frère aîné a choisi une voie classique, lui ne sait pas encore s’il pourra tenir la sienne.